Le sous-traitant peut-il invoquer les règles de l’enrichissement illégitime contre le maître d’ouvrage ?

Tamara Morgado

Associée chez Guggenheim Morgado Avocats


Dans le domaine de la construction, lorsque le sous-traitant n’est pas payé par l’entrepreneur général, la question se pose toujours de savoir s’il y a un moyen d’agir contre le maître d’ouvrage alors qu’il n’y a aucun contrat entre celui-ci et le sous-traitant. Je ne vais pas aborder ici l’hypothèque légale des artisans et entrepreneurs, voie possible pour le sous-traitant, mais j’aimerais m’attarder sur un arrêt récent du Tribunal fédéral. Dans un arrêt du 12 janvier 2021 (4A_470/2020), le Tribunal fédéral se penche sur les règles de l’enrichissement illégitime dans le cadre d’un contrat d'entreprise et le rapport triangulaire qui existe en présence d’un sous-traitant.



L'enrichissement illégitime


Le Tribunal rappelle que :
les règles sur l’enrichissement illégitime (62 CO) ne sauraient apparaître comme le dernier recours pour remédier à des résultats considérés d’une façon générale comme inéquitables ;
l’action pour cause d’enrichissement illégitime repose sur quatre conditions : l’enrichissement d’une personne, l’appauvrissement d’une autre, un rapport de causalité entre ces deux éléments, et l’absence d’une cause légitime ou le paiement d’un indu ;
le champ d’application de l’enrichissement illégitime est limité à des cas nettement déterminés, où l’appauvrissement du créancier résulte directement de l’enrichissement d’une autre personne et où le déplacement de valeur est dénué de cause juridique valable.

Pour déterminer si les règles de l’enrichissement illégitime étaient applicables dans une relation sous-traitant - maître d’ouvrage, le Tribunal s’est notamment posé la question de savoir si la prestation du sous-traitant était ou non dépourvue de cause légitime.


Une prestation dépourvue de cause légitime


Dans des arrêts anciens liés au domaine de la construction, le Tribunal fédéral a considéré que, même si le maître d’ouvrage se trouvait enrichi à concurrence de la valeur des travaux exécutés par le sous-traitant, cet enrichissement n’était nullement dépourvu de cause légitime puisqu’il trouvait sa contrepartie dans les obligations contractuelles du maître d’ouvrage envers l’entrepreneur général ( ATF 99 II 131 ; ATF 97 II 71).

Les règles sur l’enrichissement illégitimes n’étaient alors pas applicables lorsque le sous-traitant se retournait contre le maître de l’ouvrage en raison du non-paiement de ses factures par l’entrepreneur général. Dans son arrêt du 12 janvier 2021, le Tribunal fédéral a considéré que l’état de fait n’était pas substantiellement différent de celui à la base de la jurisprudence antérieure mentionnée plus haut. Il a jugé que la prestation du sous-traitant n’était pas dénuée de cause valable et reposait bien sur une prestation contractuelle. La prestation n’avait ainsi pas lieu sans « cause légitime » au sens de l’article 62 CO, et les règles de l’enrichissement illégitime n’étaient donc pas applicables.